LA FOLIE LEONIDES 2002

 

2002 était la dernière chance d’avoir un très bon cru Léonides. Déjà en 1996 et 97, la fréquence de ces étoiles filantes avait augmenté sensiblement. La comète responsable de cet essaim            ( 55P/Temple-Tuttle ) a une périodicité de 33 ans, et dès qu’elle revient à proximité du soleil, elle dégaze et libère une grande quantité de poussières. L’orbite de Tempel-Tuttle a cette particularité qu’elle croise celle de la terre. Quand notre planète traverse les nuages de poussières cométaires, il en résulte une pluie d’étoiles filantes.

10 minutes de pose avec un objectif de 50 mm. Réalisée en 1966 par A. Scott Murrell au Nouveau Mexique.

 Il se trouve qu’en 1998, cela se produirait 257 jours après le passage de Tempel-Tuttle. Un sursaut d’activité de cet essaim   était donc attendu. D’ailleurs les scientifiques avaient prévu le maximum d’activité le 17 novembre entre 17H et 19H TU.

 Seulement ils n’avaient pas encore les bons modèles, en effet la tempête se produisit un jour avant ! En fait durant presque toute la nuit du 16 au 17 les observateurs eurent la chance d’assister à un spectacle inoubliable. Les particules de poussières avaient une taille supérieure à la moyenne, ce qui leur offrit l’occasion d’observer des dizaines de bolides largement plus brillants que Vénus ! En fin de compte, la terre avait traversé une veine riche en grosses particules ( de l’ordre du centimètre ).

 Les calculs recommencèrent de plus belle, les simulations informatiques permirent de remonter dans le passé, et ainsi le futur pouvait en être déduit. Ce qui nous amène à l’année 1999, les astronomes se firent plus audacieux et osèrent donner l’heure précise du maximum d’activité à 5 minutes près. Pari gagné ! 2H02 TU le 18 novembre, elles étaient bien au rendez-vous. Le ZHR( taux horaire moyen au zénith ) au moment du pic était de 3700, mais les étoiles filantes étaient, en moyenne, un peu moins brillantes que durant l’exceptionnelle nuit de 1998 (grains de taille microscopique cette fois ). Malgré tout de splendides bolides furent observés, et cette nuit là fut, pour les heureux observateurs, un cadeau du ciel et une expérience intense.

Les prévisions de 2000 se révélèrent satisfaisantes, malgré la météo mauvaise empêchant d’affiner le décompte, ajoutez à cela un dernier quartier de lune placé juste à coté du radiant ! Il y eut trois pics d’intensité moyenne ( 130, 290, et 480 de ZHR ) sur 24H.

Pour 2001 on attendait une spectaculaire tempête d’étoiles filantes, en plus la nouvelle lune ne gênerait pas les observations. Le problème pour nous, européens, c’est que les pics annoncés favorisaient grandement les USA et l’Asie. Certains « globe trotteurs astro » n’ont pas hésité à s’offrir le voyage pour ne pas manquer ce phénomène unique. Cette fois le ZHR atteignit 1400 pour l’Amérique et 2800 pour l’Asie, avec des météorites très brillantes surtout en Asie. L’activité fut importante pendant plusieurs heures, avec une montée en puissance sensible, les filantes étonnaient par leur traînée persistante et colorée. Les bolides étaient de plus en plus éclatants, zébrant le ciel jusqu’à l’aube.

Ayant raté tous ces magnifiques spectacles, nous étions décidés à voir absolument la dernière pluie des Léonides.

En effet, selon les spécialistes, la terre ne croiserait plus avant longtemps les nuages cométaires. De plus les estimations en terme de ZHR étaient aussi (même plus) optimistes que 2001, et l’Europe cette fois assisterait au spectacle.

Une ombre au tableau malheureusement et pas des moindres : la pleine lune effacerait les météores les moins brillants. Le grand jour : 19 novembre à 5H.

Depuis plusieurs semaines, nous étions en contact avec Christophe Marlot, astronome baroudeur, pour le suivre dans son expédition Léonides. Il pensait partir pour l’Espagne, plus précisément la Sierra Nevada. Nous cherchions des montagnes au climat sec pour ne pas être obligé d’observer les pieds dans la neige ! Pourquoi s’élever ? Parce que la diffusion atmosphérique serait très amoindrie en altitude. La pleine lune agissant comme un gros lampadaire, si on pouvait limiter son influence, autant essayer.

Bref petit à petit, un groupe d’observateurs s’était constitué grâce à Internet ( dont Sylvain Weiller et Denis Joye de l’AAV ). Le jour fatidique approchait, les astronomes devenaient fébriles, l’inquiétude provenait de la météo bien sûr ! La descente vers l’Espagne semblait très compromise, comme par hasard une grosse dépression avait prévu de l’inonder la nuit des Léonides. Finalement le Sud-Est de la France semblait être épargné ce jour là.

Samedi 16 novembre

Il est 13H30 quand nous partons de la région parisienne en direction du sud, en quête du beau temps. Sur notre route, de la pluie, des plaines complètement inondées, puis une amélioration en arrivant sur Pont en Royans ( dans le Vercors )  : lieu de rendez-vous commun au gens de l’expédition. Le niveau de La Bourne est bien au-dessus de la moyenne. Nous dormirons dans un hôtel situé tout juste au bord de celle-ci, heureusement bien plus haut qu’elle ! Le soir nous pourrons même apercevoir la lune se lever derrière la montagne.

Dimanche 17 novembre

Il fait beau et presque chaud aujourd’hui. La réunion prévue entre les différents membres de l’équipée est annulée. Le point sera fait vraiment au dernier moment, la météo est trop instable et empêche les prévisions fiables. Pas grave, nous visitons ce coin de France que nous avions déjà traversé lors de vacances estivales. L’ambiance est différente, les gorges de La Bourne semblent plus menaçantes sous la lumière déclinante de cette fin d’automne. Tout est plus humide, l’eau surgit de chaque recoin de roche, ruisselant sur la route. Sensation étrange… Le temps s’est recouvert, il pleut même un peu. Ce soir rendez-vous est pris chez Christophe Marlot pour le lendemain. Nous chercherons un site d’observation dans la journée

Lundi 18 au 19 novembre 2002

Christophe et sa femme, Christelle, habitent à Romans, on doit se retrouver à 9H chez eux. Le brouillard ,agissant comme une gomme magique, efface tout, les routes et ses paysages, il n’augure rien de bon pour nous.

Enfin, nous arrivons, l’appartement de nos hôtes est encombré de tout un tas de matériel astro, et de bouquins également ! Fabrice Gorry, compagnon de route, est présent aussi. C’est drôle de pouvoir mettre un visage sur des noms que l’on connaît depuis longtemps grâce à Internet. Après le remplissage de la voiture de F. Gorry, nous partons dans la joie et la bonne humeur et, à vrai dire, à l’aventure !   Heureusement Christophe connaît bien la région.

 Le temps s’est grandement amélioré depuis que nous filons (comme les étoiles …) vers le sud. Ravitaillement en essence et nourriture dans un supermarché avant de s’enfoncer dans la « pampa ». Le ciel est d’un beau bleu, les couleurs rouille des feuilles resplendissent. Direction le col de Perty, la montée est longue et belle, l’arrivée donne sur un panorama à couper le souffle.

 C’est d’un calme olympien, on aperçoit des montagnes enneigées à des centaines de kilomètres en direction du nord et de l’est. Déjeuner en plein air, ce qui nous inquiète ce sont ces nuages qui traversent le ciel rapidement.

 

Deuxième « spot » intéressant, la montagne de Lure, la montée est encore plus longue. Au détour d’un de ses nombreux virages, un panneau indique que le col est fermé ! Nous continuons sachant qu’il n’y a pas de neige à cette altitude. Les mélèzes couleur d’or sont un émerveillement pour les yeux, disséminés parmi les conifères vert foncé et les feuillus marrons, ils ravivent la montagne. Arrivés là haut, je ne sors pas de la voiture, il y a trop de vent et j’ai froid, dommage le panorama doit être de toute beauté avec le soleil couchant. En redescendant de l’autre coté de la montagne, on s’arrête à nouveau pour admirer toutes ces couleurs rousses, et le ciel qui se pare de rose.

Nous décidons de partir pour le plateau d’Albion pour échapper aux nuages.

Plus précisément, à Notre Dame de Lamaron, un endroit bien connu de Christophe, tout proche de l’observatoire SIRENE.

Arrivés là bas, nous donnons par téléphone les coordonnées GPS du site à Denis et Sylvain pour qu’ils puissent nous rejoindre (ils sont partis de la région parisienne depuis 13H environ ). Le panorama s’étend sur tout l’horizon Est. La petite chapelle donne du cachet à cet endroit.

Nous repartons pour dîner à Sault.

On ne traîne pas, certains sont fébriles et impatients de préparer leur matériel. Quelques nuages nous inquiètent un peu, mais ne dérangent pas notre installation, il doit être vers les 20H30. Bon on a le temps. Fabrice prépare ses instruments : une caméra très sensible accouplée à un camescope pour permettre l’enregistrement des images, posés sur un trépied photo, ensuite un appareil photo numérique ( 3,3 méga pixels ) et une webcam Vesta pro modifiée, sur une monture azimutale motorisée. Et pour finir un appareil photo argentique aussi sur un trépied ( objectif de 20 mm de focale ). Christophe a carrément installé 5 rotules photo sur une rampe associée à sa monture EM200 ! Les boîtiers photo attendent bien sagement au chaud pour l’instant.

 La lune est vraiment très présente, elle illumine le paysage et fait refléter le blanc des coupoles de SIRENE. Elle sera déterminante pour les prises de vues et, bien sûr, pour l’observation à l’œil nu.

Je commence à installer mon matelas pneumatique qui me servira à poser mon duvet. J’espère bien pouvoir m’y glisser pendant quelques heures au chaud. La position devrait me permettre d’avoir plus de confort pour observer les filantes. Je vais également utiliser un mini disque enregistrable, j’aurai ainsi 5H de bande. Je pourrai décompter les léonides plus facilement. Je positionne le micro sur le bord de ma cagoule, il y restera toute la nuit m’évitant trop de manipulations.

Sylvain et Denis arrivent vers 23H, je ne sais plus, et bien sûr Sylvain fait sensation car il descend de la voiture en tenue de plage. A noter quand même que la température approche 0°. Bon nous on est habitué, mais pas les autres ! Ils vont même jusqu’à nous prendre en photo à coté de lui. Evidemment il s’habillera en tenue chaude quelques minutes plus tard, mais il a réussi son entrée !

 L’équipement de Sylvain est également hors norme, une vraie usine à gaz ! Il lui faut pas moins de deux tables pour y poser tout son matériel. Sans compter les montures qui parsèment le terrain et les trépieds de Denis.

D’autres personnes arrivent plus tard dans la nuit, si bien qu’on se retrouvera à une vingtaine sur le même site, sans être pour autant les uns sur les autres. Parmi ces gens quelques « touristes » qui vont jouer avec leurs flashs d’appareil photo… Hum !

La nuit passe, très calme sur le plan des léonides, 2 ou 3 bolides à noter quand même.

                  

 Des passages nuageux jouent avec nos nerfs. Curieusement le ciel à l’horizon est bleu assez clair, serait-ce de la brume ?

Je suis dans mon duvet depuis 2 ou 3 heures et le froid commence à remonter à partir de mes pied, d’ailleurs je m’aperçois que mon duvet est recouvert de givre à l’extrémité, le matelas aussi. Il faut que je bouge ! Autrement demain matin ils ne retrouveront qu’une momie de glace ! Une restauration s’impose, chocolat chaud, et puis plus tard du saucisson (non je n’ai pas oser tremper l’un dans l’autre …).

Je fais de temps en temps des allers et retours entre les différents regroupements. Ca réchauffe !

3H45 les nuages sont maintenant bien présents, l’inquiétude grandit. En fait la bande nuageuse ne fait que quelques kilomètres de largeur et on peut voir à l’ouest que c’est dégagé.

 Fabrice Gorry est le premier à émettre l’idée d’un déplacement vers cette direction.

Très vite l’agitation nous gagne, et la décision est prise : on dégage !

Le rangement du matériel est une affaire rondement menée, et nous sommes prêts, alors que Sylvain a encore tout son matériel à ranger ! Christophe et Cie s’en vont, suivis par 2 ou 3 voitures. Nous prenons une monture appartenant à Sylvain dans notre voiture et nous aussi partons au hasard dans la direction du beau temps.

5 minutes plus tard, après avoir vu 2 filantes à travers le pare-brise, nous nous arrêtons sur un chemin qui longe la route qui descend vers le sud , juste après Lagarde.

Le thym abonde si bien qu’à chacun de nos pas, une délicieuse odeur provençale vient chatouiller nos narines. Denis et Sylvain ont réussi à nous joindre sur le portable, mais ils n’arrivent pas à saisir où nous sommes situés, Fabrice leur dit de rester là où ils sont car le spectacle a commencé. Pas de temps à perdre !

La haut ça commence à s’affoler. Fabrice réinstalle le caméscope et l’APN.

Bientôt nous ne saurons plus où donner de la tête.

Il nous semble entendre des cris dans le lointain dès qu’un bolide apparaît dans le ciel. Sûrement nos compagnons de voyage qui sont éparpillés un peu partout…

D’ailleurs à plusieurs reprises nous avons vu des voitures passer et repasser, jamais il n’y eut autant de circulation sur ces petites routes du plateau d’Albion !

Plusieurs centaines de filantes vont ainsi zébrer le ciel dans tous les coins, mais avec vraiment cette particularité qu’elles proviennent toutes du même endroit : la tête du Lion. C’est vraiment très flagrant à certains moments, des séries de météorites irradient littéralement comme dans un feu d’artifice à partir de ce point qu’on appelle le radiant.

Quelques unes laissent un rémanent vert fluo visible l’espace d’une seconde, dont certains en forme de zigzag !

5H45 mon enregistrement est malheureusement fini, mais ça continue, moins fréquemment que pendant le pic. C’est pourtant à 6H03 précisément que nous verrons un superbe bolide coloré descendre vers l’horizon, à gauche du Grand Chien. Celui là laissera une trace pendant plusieurs minutes.

Puis Vénus se lève en compagnie de Mars et Spica de la Vierge. Vénus me semble éblouissante, absolument pas ponctuelle, elle ressemble à un phare ! Ceci est certainement dû à de la brume au ras de l’horizon.

6H40 alors que l’Est se pare d’une couleur or annonciatrice de l’aube, un bolide jaillit sous Vénus, dommage qu’il n’y ait pas de prise de vue !

Fabrice a débuté le rangement des affaires qui avaient été posées un peu précipitamment dans la voiture. Et surtout il faut tout sécher, l’humidité de la nuit était importante. Elle a d’ailleurs recouvert les objectifs d’appareils photo ( obligé de les essuyer toutes les 5 minutes ).

La lumière matinale nous fait découvrir notre site, tout est givré autour, et nous aussi ( dans tous les sens du terme ! ).

Puis le téléphone retentit, nos deux compères s’apprêtent à repartir, on se donne rendez-vous à Notre Dame de Lamaron.

Photos souvenirs de la vallée prise dans les nappes de brouillard.

Superbe panorama ! On aperçoit au Nord-Ouest ce que les scientifiques appellent l’arche anticrépusculaire, autrement dit l’ombre de la terre sur les basses couches   de l’atmosphère.

7H25 environ dans un ciel déjà bleu, un soleil encore sous l’horizon mais prêt à jaillir, un dernier bolide nous surprend. Joli final !

Puis l’astre du jour apparaît derrière les montagnes lointaines (ça va nous réchauffer dit Sylvain, hum ), l’occasion de lui tirer le portrait.

Enfin la photo de groupe où l’on nous voit tout emmitouflé posant devant la chapelle.

On décide d’aller prendre un petit déjeuner à l’hôtel restaurant où nous avons mangé la veille à Sault. Pas de chance ils sont en travaux. Nous partons à la recherche d’un autre hôtel où nous pourrions également dormir, cependant il faut un parking sûr, vu le matos présent dans les voitures. Echec, rien qui ne corresponde à nos desiderata.

Décision est prise de partir sur Carpentras, il y aura plus de choix.   Erreur ….

Mais qui sont ces gens qui cherchent une chambre d’hôtel à 8h du matin ! Y sont pas normaux ! Tout est déjà pris ou hors de prix. Je ne compte plus les hôtels visités. 11 heures : toujours rien trouvé, on décide de manger dans une cafétéria,   puis de repartir plus vers le nord, de toute façon ce n’est pas la bonne heure pour chercher une chambre. On quitte nos compagnons de voyage qui décident de rentrer directement en région parisienne.

Fabrice s’arrête sur une aire d’autoroute tellement il est fatigué, curieusement nous retrouvons Denis et Sylvain. Ils sont sur le même rythme que nous !

Finalement nous trouverons un hôtel du coté d’Annonay.

Mercredi 20 novembre

Après une bonne nuit de sommeil réparateur, on passe un coup de fil à Christophe Marlot. Il était un peu déçu par rapport à 2001. Ils sont repartis du site vers 6H30 pour rentrer directement.

Arrivés chez nous, nous avons pu dépouiller la montagne d’images et de   données accumulées durant cette nuit. Un total de 664 Léonides fut comptabilisé.

Pour les résultats en images seuls les appareils installés pendant le pic s’en sortent bien. Surtout la caméra, elle seule a enregistré des dizaines de Léonides.

Dommage que le film soit en noir et blanc et muet. Mais l’effet est saisissant pendant les quelques minutes qui entourent le pic.

Les seuls regrets sont de n’avoir pas vu les précédentes pluies de Léonides car c’est vraiment un spectacle céleste à ne pas manquer.

N’oubliez pas, vous non plus, d’observer les autres essaims même s’ils sont moins spectaculaires : les géminides, les quadrantides, les perséides et les autres… Les flèches célestes ne demandent que de la patience et du beau temps.

Christel Noel                                

Photos et mise en page de Fabrice Noel